jeudi 21 mai 2015

Consorzio, Turin



Il faut quand même bien admettre que parfois il est difficile de de prétendre si une table est meilleure qu’une autre dans le style de cuisine italienne plutôt classique. Comment différentier deux établissements qui savent parfaitement cuisiner les pâtes… Selon moi, il n’y a que peu de nuances et tout restera plutôt très subjectif pour cette cuisine… Etre vraiment très étonné est plutôt rare même si l’on sort toujours plutôt satisfait de la majorité des trattorias.

Eh bien « Consorzio » c’est l’exception confirme la règle à savoir qu’il existe des lieux un peu improbables où l’on déguste une cuisine que je pourrais qualifier de « traditionnelle inventive »… On se demandera bien ce que cela veut dire… Je vais m’expliquer.

Cette table toujours dans le centre-ville n’est pas franchement des plus attirantes lorsque l’on voit le bâtiment extérieur avec sa devanture plutôt banale mais une fois à l’intérieur, on s’étonnera par le côté assez convivial, entre trattoria et lieu branché « slow foodiste ».  Deux salles au charme presque désuet mais décorées dans le but de surprendre avec des murs peut-être faussement abimés pour donner un aspect un peu vieillot ; des chaises disparates, des lampes murales assez artistiques et un ensemble d’affiches toutes vantant les mérites du vin.



Un petit comptoir central et un tableau avec les crus au verre. Il y a quelque chose de très calculé dans ce décor car on décèle immédiatement le côté épicurien de cet endroit où l’on a affaire à une équipe très pointue rien que déjà dans la discussion de la prise de la commande mais aussi en expliquant le concept culinaire qui se cache derrière tout cela.  Un ensemble de plats qui semblent très régionaux mais à qui on a insufflé une approchante nouvelle dans la construction ou les associations parfois téméraires mais justes.



Dans un autre coin, un très joli plateau de fromages de la région et les huiles d’olives choisies.


Signe que l’on est arrivé dans un lieu qui connait ses grands classiques presque inconnu des jeunes générations, un affiche de la « Grande Bouffe », film de 1973 de Marco Ferreri qui avait fait scandale à l’époque. Une  histoire de suicide gastronomique, de quatre hommes qui veulent mettre fin à des vies monotones en mangeant jusqu'à en mourir, non sans inviter des femmes pour ne pas mourir sans orgasme, racontant aussi la société de consommation, la vacuité des plaisirs de la chair.


Présentation de la carte et quelques moments de réflexion…Ce qui est admirable c’est que face à notre hésitation, tout de suite notre serveur nous a aimablement proposé de partager chaque assiette en deux afin d’avoir un éventail de plats plus large que normalement. Et quand je dis partager, ce n’est pas « se passer l’assiette » à mi-parcours…mais de servir à chaque fois deux assiettes !

Premier plat le « Capunet » avec de la moelle fumée. Le « Capunet » est un plat piémontais traditionnel qui est un rouleau de chou. Il est traditionnellement préparé avec des restants de viande la veille et plus généralement avec ce qui est se trouve au réfrigérateur. Il n’est d’ailleurs pas rare de trouver sur les tables ce met après les fêtes de Noël, lorsque l’on veut éventuellement retravailler les restes. Evidement ceux-ci sont préparés sans restes et l’on peut y déceler un mélange de viandes hachées très fine, de jambon cru, de chapelure, parmesan, des herbes et surement de l’œuf. Si la recette n’est pas totalement juste, on s’en approche ici…  Ce chou est absolument délicieux ici et accompagné d’un os à moelle coupé en deux sur lequel j’imagine on a saupoudré un peu de sel fumé. L’association du chou et de ce goût fumé de la  moelle est prodigieuse !




Second met qui sur le papier aurait pu sembler un peu étrange mais qui s’avéra être à nouveau tout à fait exceptionnel. Le poulpe grillé et cervelle de veau sur une crème de pommes de terre au citron. Jamais je ne me serais imaginé que cette association fonctionnerait mais bien au contraire. La cervelle est panée et frite ; le poulpe est grillé et découpé en tronçons. La pomme de terre au-dessous est plus proche d’une sauce qu’une purée, quoique l’énoncé parle bien de crème, ce qui est plutôt très juste. Très fine et délicatement parfumée au zeste de citron, du basilic frit et un peu de paprika fumé saupoudré. La combinaison de ces trois textures est absolument parfaite.



Nous partagerons ensuite tout d’abord des « Agnolotti Gobbo ». Je dois admettre qu’à ce moment je suis un peu confus avec la géométrie des pâtes. Je comprends que les Agnolotti sont proches des raviolis mais réalisés avec un seul cercle ou carré de pâte plié en deux alors que le Ravioli est réalisé avec deux carrés de pâtes…Toute la différence ! Des pâtes dont la recette originellement provient d’Asti, avec une farce à base de veau, porc, lapin, saucisse, parmesan, scarole. Des pâtes certes classiques mais délicieuses avec ce beurre légèrement assaisonné au parmesan.


Nous continuerons avec des raviolis à la financière. J’avais déjà décrit l’origine de ce classique turinois, le « finanziera » ou financier piémontais que nous avions dégusté la veille et je dois dire qu’à part les ingrédients, le résultat fut plutôt assez différent et à nouveau extraordinaire. Imaginez la recette traditionnelle mélangeant tous ces abats de coq et veau qui seront utilisée comme sauce pour les pâtes mais en plus, chaque pâte a une farce différente ! Un ravioli à la crête de coq, un au ris de veau, le troisième à la cervelle et ainsi de suite. Le résultat est d’une très grande délicatesse et ne devrait pas choquer quelqu’un qui serait réticent à ce type d’ingrédients. Un très grand plat ! A noter que je ne suis plus trop sur s’il s’agit de raviolis car la forme me fait plus penser à une pâte de la famille des Tortelli pour les puristes… cela ne change en rien le résultat.       


Troisième plat de pâtes, les « plin » d’orties farcis au fromage de chèvre au beurre d’anchois et thym. Les « plin » sont des sortes d’Agnolotti pincés ou plissés. Réalisé avec une pâte aux orties, la farce de fromage s’associe parfaitement avec le goût de l’anchois et de l’herbe.



Comme dessert une crème de mascarpone avec des biscuits de Savoie. Lorsque l’on dit Savoie on devrait préciser Savoie italienne à l'époque du Duc Amedeo IV de Savoie dont les pâtissiers créèrent ces petits biscuits en l'honneur du Roi de France. Ils devinrent si célèbres qu'on trouve la recette dans le livre  d'Alexandre Dumas "Le Grand Dictionnaire de Cuisine" et servent au Tiramisu. Ici ils accompagnent cette crème qui est bien plus légère que le dessert italien le plus connu au monde.


Pour terminer quelques biscuits avec une très bonne crème citronnée. 


Pour accompagner ce repas, un Grignolino d’Asti de la Cascina ‘Tavijin 2013. Comme le nom l’indique, le cépage Grignolino ; un vin assez particulier du Piémont plutôt clair avec un léger goût de cerises amères. Très plaisant et parfait pour un déjeuner.


Voici une remarquable table qui en quelque sorte innove et ne propose pas que des plats piémontais comme l’on pourrait trouver un peu partout ailleurs dans les bons établissements. Les ingrédients sont choisis, les préparations étudiées, les saveurs très pointues et le dressage sur de belles assiettes en terre cuite apporte une touche visuelle très plaisante. Nous n’avons que pris des entrées et « Primi », mais les « Secondo » semblèrent également être très intéressants pour un diner. Probablement l’une des plus belles tables turinoises.

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