lundi 27 juillet 2015

Alancha, Istamboul



Cela faisait des mois voire même plus que je souhaitais découvrir la cuisine de Kemal Demirasal qui me semblait être absolument proche du rêve du moins en parcourant déjà son site mais aussi suite à quelques rares articles parus ci et là. Principalement sur des sites turques, mais rédigés par la plupart du temps des anglo-saxons qui ont créés une certaine vague d’excitation dans le monde de la gastronomie. Quelque chose me disait que cette table devait être au-delà de tout ce que l’on peut imaginer du moins dans un pays comme la Turquie où la gastronomie de haut vol n’a pas encore atteint son firmament et que les médias européens n’ont pas encore vraiment découverts à part quelques exceptions que j’ai déjà mentionnée dans mon billet sur « Neolokal » d’il y a quelques jours.

« Alancha » est au départ une table ouverte en mai 2013 qui se trouve entre Izmir et Cesme sur la côte égéenne,  plus précisément à Alaçati qui fut à une époque un village grec et aujourd’hui  une fameuse station balnéaire sur la mer Egée.  Le nom étant à l’origine la seule forêt de pins de Alaçati ou se trouve une clairière dont le nom turc est justement « Alancha ».

Un chef autodidacte, six fois ancien champion de windsurfing,  qui n’a pas spécialement suivi d’étude de gastronomie et par conséquent n’a pas de trophée à brandir. Mais que cela ne tienne, quand quelqu’un à du génie en lui, papier ou non, on peut s’attendre à quelques chose d’exceptionnel. Un chef qui s’inspire selon ce qui se dit des concepts ou méthodes scandinaves peut laisser pensif mais si l’on pense à associer produits, nature, saisons, saveurs nouvelles et compositions innovantes tout en appliquant cela de manière locale, cela peut donner quelque chose de plus que remarquable. Un des secrets étant que ce chef est parti deux années sur la route afin de découvrir les 50 meilleures tables du monde… Certes il y aura des moments qui probablement le marqueront mais j’aurai tendance à m’imaginer que c’est avant tout une démarche qui était recherchée et non pas une réplique.

Une cuisine d’inspiration locale, Anatolienne mais également avec des influences grecques et nordiques comme précédemment relaté. Chaque plat étant une œuvre  car on y identifiera une recette soit revisitée, soit transformée. Des associations terriennes et marines qui émerveillent à chaque moment le foodiste sérieux le plus exigeant et peut-être même le plus blasé… 

Si vous ne passez pas par Alaçati, vous aurez néanmoins l’opportunité de vivre cette expérience à Istamboul. Son second restaurant vient récemment d’ouvrir depuis fin février de cette année dans ce que l’on appelle la « Maçka Residence », en réalité une des offres de l’hôtel Kempinski pour des appartements privés dans la zone de Maçka du quartier de Nişantaşi. Soyez sur que votre chauffeur de taxi connaisse l’endroit car non seulement le lieu est un peu difficile à trouver mais surtout cette résidence n’est pas toujours connue des locaux.

Un bâtiment aux allures très modernes et peut-être inspiré des constructions que l’on pourrait trouver à Copenhague avec une esthétique assez épurée.  Une décoration d’un célèbre designer local appelé Gürcan Dere. Néanmoins, on aurait pu s’attendre à trouver un tel établissement dans un hôtel un peu décentré ou alors dans un grand jardin, voir le long du Bosphore. Eh bien non, « Alancha » occupe deux niveaux de cette résidence un peu sur les hauts de la ville.

Une entrée entre de massives colonnes, quelques oliviers dans de grandes jardinières boisées, sur l’un des côtés, une terrasse associée à un bar et la seconde table du lieu où l’on sert de manière moins formelle quelques assiettes ou même un menu. « Alancha Beets », serait si l’on veut le gastrobar.


C’est d’ailleurs là que vous serez accueilli et prendrez un verre. Une agréable terrasse sur un deck de bois avec un mobilier assez design.


A l’intérieur, ce gastrobar dans une pièce très contemporaine, avec  un haut plafond, un bar face à un ensemble de tables de bois plutôt originales car surélevées ou alors une grande table pour groupes. Et à gauche du bar qui ressemblerait à un laboratoire de petit chimiste, un ascenseur qui vous amènera au premier étage, sur la mezzanine qui conduit à la partie gastronomique appelée « Alancha Tasting ».





Cette grande salle avec ses lumières suspendues depuis le haut plafond et les plantes type fougères qui pendent sur les murs a beaucoup de charme et de fraicheur.


Il ne faudrait surtout pas manquer de prendre un cocktail pour démarrer une soirée ici pour maintes raisons et tout d’abord pour la « mixologie »… Ce fut la première fois que je vécu une expérience sensorielle dans un bar. « Alancha » offre une approche qui est assez unique avec un choix de breuvages amenant des sensations comme nulle part ailleurs. On parle ici de « mixologie culinaire » avec des cocktails associant divers arômes et garnitures ;  parfois salés ou sucrés, avec de la mousse ou de la fumée,  de la douceur ou de l’amertume et tout cela avec d’impressionnantes présentations. Des associations magiques pour les palais ouverts d’esprit et les personnes qui apprécient l’expérimentation.

« Alancha » s’est donc associé avec un « mixologiste » au nom de Göksel Güleç  qui depuis 1997 propose une approche innovante de la manière de concevoir des cocktails que l’on peut trouver sur son site « The Cooktail Master ».  Une recherche continue sur les associations et techniques telles que le fumage, le brassage, l’utilisation de sel aromatisés, de produits de saison et locaux.

Ce qui nous amène à recevoir une carte avec une impressionnante série de breuvages. Un cocktail appelé « Bubble «  à base de cachaca au piment, citron vert, cardamone, clou de girofle et concombre. Arrive à mon grand étonnement un verre fumant autour duquel se trouve une poudre d’hibiscus salée comme pour une margarita mais ici acidulée, une mousse très légère de concombre sur le dessus et l’association des jus et alcools ensuite. Le plus surprenant sera de trouver un caviar de concombre apportant une texture à cette boisson légèrement amère, salée, sucrée et acide. Une grande harmonie en bouche.


Le second incroyable cocktail aura pour nom, l’Espadon. A base de tequila à l’hibiscus donnant cette couleur violacée, de liqueur d’orange, de clou de girofle et  de cannelle. Un registre de saveurs exotiques totalement différentes, très axées sur les épices boisées et une acidité bien équilibrée.


Et comme grignotage, rien de banal mais de délicieuses amandes fraiches sur un lit de glace pilée. A ce moment lorsque l’on voit la subtilité, la beauté et les saveurs de ces cocktails on ne peut que devenir encore plus impatient de découvrir la suite…


L’hôtesse vous accompagnera vers l’ascenseur et appuiera sur le bouton du premier pour vous… Seconde surprise à l’ouverture de la porte… L’ensemble de l’équipe de cuisine vous attend pour vous souhaiter la bienvenue… Ce qui est plutôt amusant et vous constaterez que tous les hommes ont le même look à savoir celui de hipster… Aucune arrière-pensée…c’est tendance…   Une équipe en cuisine répartie sur les deux lieux avec entre autre un personnage important comme Murat Deniz Temel  qui fut le premier turc à travailler chez NOMA et à faire également des stages chez Relae et même chez Alex Atala de D.O.M. au Brésil.

Une rapide traversée de la cuisine très moderne et vous voici dans la salle principale. Un lieu très zen avec un ensemble de tables très espacées, des jeux de lumière savamment étudiés,  très subtils et romantiques afin d’avoir un peu l’impression d’être comme dans un rêve. Ce décor moderne et épuré est très réussi mais aussi un peu presque inquiétant par son côté mystérieux. Les tables ne sont dressées qu’avec le strict minimum, verre et serviette.
  


 


Sur l’une des parois, une bibliothèque en bois naturel sur laquelle vous verrez un certain nombre de plantes vertes tombantes semblables à des fougères, conférant au tout un côté très nature ; ce qui est assurément recherché.


Et sur un autre mur, des vases, pots avec des plantes qui nous laisseraient penser que nous sommes presque dans un magasin de fleurs et de plantes ou peut-être dans un jardin botanique.


Rien n’est laissé au hasard car la musique est parfaitement sélectionnée et oscillant entre chillout, downtempo et ambiant ou même des balades.

Comme nous sommes en été, ce soir cela sera la terrasse où le repas sera servi. Peut-être pas la terrasse que j’aurais pu m’imaginer car plutôt presque rudimentaire et assez épurée comme le reste d’ailleurs.


Retour en cuisine que nous avions rapidement traversée car cette dernière est particulièrement belle avec ces associations de métal, poutres et semblant de vieux murs. Même ici les éclairages sont très soignés.


Comme le nom de l’établissement l’indique « Alancha Tasting », il s’agit d’un menu de dégustation à 240 TL qui peut s’associer avec soit des vins, soit même avec des jus de fruits. Intitulé « la grande migration », il s’agit d’une vingtaine de plats d’origine anatolienne mais associés aux  interactions avec divers peuples, peuplades, civilisations et cultures telles que la Grèce, la Perse, les Minoéns, les Phéniciens, les Ottomans, les Balkan, les Seldjoukides et pour finir les Moloques.

Un menu qui sera une succession de sensations les unes plus fortes que les autres et qui commence par une suite de petits entremets avant les entrées comme un surprenant bouillon de pleurotes fermentées et huile de citronnelle. En même temps rafraichissant malgré que cela soit chaud, léger et subtilement parfumé. Une manière de préparer le palais des convives.


Une magnifique assiette nous est amenée avec comme principalement ses couleurs blanches et noires. Une idée géniale que de servir des feuilles de vigne séchées farcies avec un houmous et sur lesquelles l’on trouvera des brisures de pignons. Généreux en bouche et avec des textures inhabituelles pour des feuilles de vigne.


Et comme troisième amuse-bouche, une innovante interprétation du poulet à la circassienne qui est de la  chaire de poulet pilée mélangée avec du yaourt et des noix. Transformé ici en une sorte de cromesquis passé à la friture et saupoudré de poudre de champignons fermentés.  



Ensuite le pain fait sur place nous est amené, accompagné d’une crème de fromage de chèvre de Tulum saupoudré d’un peu de piment, d’huile d’olive, en lieu et place d’un beurre conventionnel.
 


La première entrée est à ce jour l’un des plus beau plat qu’il m’eut été présenté depuis le début de cette année, tellement il y a derrière celui-ci une très grande réflexion avec un résultat totalement bluffant. Il s’agit d’un plat traditionnel appelé « Buğday Aşi » qui signifie « soupe d’orge » et qui est né il y a plus de 12000 ans en Anatolie. Le symbole de la transition de la vie nomade en vie sédentaire, le passage du paléolithique  au néolithique. A la base, une soupe de yaourt au riz ou au blé et même orge.  Totalement revisitée, cette soupe est ici froide, composée d’une très ancienne sorte de boulgour appelé Siyez non loin de la mer noire, de gruaux de sarrasin fumé, de jeunes pousses de lentilles, de pois-chiches, yaourt et de l’huile mentholée, inspirée par des recettes millénaires du centre et de l’est de l’Anatolie. Le plus impressionnant est que cette soupe est servi dans un grand bol de glace solide amené individuellement et déposé comme une assiette à soupe. Une extraordinaire fraicheur en bouche, des saveurs végétales, fumées, acidulées qui se marient à la perfection et sans jamais donner l’impression de déguster quelque chose de trop céréalier. Absolument époustouflant de précision.


Comme il n’existait aucun services sur la table notre serveur nous aura amené une boite où dans laquelle vous trouverez une série de cuillers et fourchettes pour chaque met.


Nous poursuivons avec la « Brise Egéenne ».  Pendant la période d’été, sur la côte égéenne on sert principalement des mezzés. Le plus souvent des salades avec les meilleurs légumes imaginables comme par exemple des tomates ou alors une purée de fève, et encore du Christe-Marine aussi appelé fenouil de mer blanchi, du fromage frais. Ce plat est un hommage à ces mezzés avec comme but d’associer toutes ces saveurs rafraichissantes de la mer Egée dans une assiette. D’une très grande beauté, cette assiette associera avec beaucoup de fraicheur donc, des tomates très douces, une sauce à base de fèves et fenouil de mer comme fond et sur les côté du fromage cottage. Le résultat est un voyage gustatif qui semble assez simple mais d’une totale perfection.


Prochain met avec le « Zeytinyağli » qui signifie « fait avec de l’huile d’olive. Dans la culture anatolienne, les mères, grands-mères ou épouses cuisent depuis des générations les légumes dans cette huile. Le résultat n’est frits et ni confit car la technique consiste à cuire lentement les légumes dans un pot avec de l’huile d’olive et de préserver la fraicheur du produit. Un plat souvent servi avec une garniture de riz appelée « pilaff ». Nous retrouverons au fond de l’assiette des petits pois, des pois-chiches, de la tomate, des carottes et des oignons, le tout recouvert d’une fine sauce montée à l’huile d’olive et quelques brindilles d’aneth. La chips qui est réalisée avec une farine de riz symbolise le « pilaff ». 


Nouveau plat avec les « sarma » qui normalement sont des feuilles de chou farcies mais dont le nom  est aussi utilisé pour appeler les « dolma » qui elles sont des feuilles de vigne farcies.  En fait le mot « sarma » signifie « rouler ». Il faut reconnaitre que de confectionner des feuilles de vigne farcies n’est pas si simple parce que celles-ci devraient déjà être très fines. La plupart du temps farcies avec un riz épicé et de la viande hachée. Mais ici ce plat n’est qu’à nouveau qu’une inspiration car elle a été déstructurée. La feuille de vigne est fraiche, la viande est devenue un magnifique tartare découpé au couteau et parfaitement assaisonné et sur un côté un riz épicé où l’on identifiera un peu de cannelle, des raisins secs, des pignons et des herbes tels que du persil plat. C’est un plat remarquable et à nouveau de grande fraicheur et plein de saveurs. 




Un plat plein de soleil arrive appelé « l’homme au maïs ».  Un plat lié au souvenir des vendeurs ambulants sur la plage et criant « maaaaaiiiiissss tennndddre…. » ou quelque chose dans le genre. Le souvenir enfantin d’acheter et de mordre dans l’épi avec en arrière-plan l’odeur de la mer et les vagues… Un plat d’une très grande douceur lié à l’utilisation de grains de maïs plutôt sucrés, de crème de maïs comme fond dans laquelle a été intégrée du fromage de chèvre Tulum de Bergama et dessus de la coriandre en graines broyées. 


Des saveurs marines avec un intitulé « odeurs de Gallipolli ». Lieu avec de forts vents, de grosses vagues ainsi que des courants d’eau froide et la nature….sauvage… Gallipoli péninsule située en Turquie, dépendant de la Thrace où l’on trouve les meilleurs produits de la mer, tels que les coques, les palourdes associés à des herbes de plage de la région d’Anatolie. Nous retrouverons un mélange de moules bleues, de cerises, de baies et de l’estragon qui est,  il ne faut pas l’oublier d’origine d’Asie centrale. Le tout est recouvert de salicornes,  une plante sauvage de bord de mer qui ne pousse qu'en sol salé. Une très originale et belle assiette,  entre marine par le côté salé et douce avec les fruits.


Le met qui suit restera lui aussi inscrit dans ma mémoire pour un moment, les « sardines de Karaburun ». « Karaburun » est une péninsule prêt du golfe d’Izmir où l’on trouve des poissons gras comme le calamar, la sardine, le hareng et le maquereau. Ce plat associe avec génie des ingrédients délicats de diverses régions. Ces sardines de la mer Egée sont  totalement nettoyées et levées en filet dont d’une très grande finesse, crues et légèrement fumées-salées, elles ont une texture bien grasse. Des asperges vertes de la mer de Marmara sont finement tranchées et déposées en dessous du poisson. Le caviar que l’on trouve au-dessus est l’un des plus prestigieux de la mer Caspienne. Un de ces plats uniques ou les associations sont simplement divines.


Comme l’un des convives n’apprécie pas les sardines, un autre plat lui fut présenté, un poulpe avec une purée de pois chiche au citron, sauce coriandre, poudre d’orange et ciboulette. Un autre magnifique plat tout aussi délicieux. Des associations parfaites entre la fraicheur des agrumes du citron et de l’orange avec cette purée. L’ajout de la ciboulette avec son bulbe grillé apporte une touche terrienne au plat, créant un équilibre parfait avec la saveur marine du poulpe.


Nous continuons avec le « Garum », une ancienne sauce phénicienne, utilisée pendant les périodes étrusques  et en Grèce antique. Réalisée avec des viscères de poisson, de l’huitre suivi par une fermentation avec du sel, on l’utilise dans un certain nombre de plats. Quelque chose assez rapproché des sauces asiatiques style Nuoc Mam et du concept de saveur japonais appelé « umami ». Les Phéniciens étaient réputés pour leur commerce du sel ainsi que pour la fabrication de cette sauce. Ici elle a été confectionnée avec des anchois et sardines fumées et salées.  Nous retrouverons un poisson cuit à la perfection ; le bar. Celui-ci recouvert de fines lamelles de radis, de poudre séchée d‘orange et de la sauce « garum » avec un peu d’estragon Comme les Phéniciens furent les premiers a utiliser l’alphabet, vous remarquerez que les assiettes sont décorées de lettres. Un plat dont les saveurs explosent en bouche.


Le met que l’on pourrait comme principal est un kebab à la pistache. A vrais dire je me demandais bien ce que le chef pourrait nous sortir car être créatif avec tel plat relèverait d’un exploit. Eh bien exploit…il y a eu pour ce plat d’origine de Mésopotamie. La viande a été hachée avec le traditionnel couteau des bouchers turcs et mélangée généreusement avec des pistaches broyées mais surtout la cuisson est parfaite. Présenté en un petit steak rond, il est recouvert d’une mure bien sucrée et déposé sur cet excellent babeurre turc appelé « kaymak ». Un peu d’épice « sumac » pour une fine touche d’acidité. Simplement « le kebab revisité à la perfection ».


Premier prédessert appelé « fête d’un déjeuner estival », car l’été quand il fait chaud et que l’heure du lunch arrive dans les familles, il est coutume de découper une pastèque et de la déguster à la main avec de la feta et quelques herbes fraiches. Le tout a été repensé et transformé en un granité de pastèque parfumé à la menthe sur une crème  à la feta. Très ingénieux et rafraichissant, servi élégamment dans un bol de marbre.


Un premier délicieux dessert appelé « semolina halva ». Généralement le halva est réalisé avec du sésame et plus précisément de la tahini. Une tradition au Moyen-Orient et  ici en Turquie des chercheurs ont retrouvés des vases et poteries enterrés prêt de tombes datant des périodes du début de la culture anatolienne qui contenait du halva comme cadeau pour le défunt dans le but de mieux passer dans l’au-delà. Même aujourd’hui cette tradition semble être perpétuée lors d’enterrement. La recette ici consiste ici en la préparation d’un socle de semoule avec un peu de mélasse de grenade ainsi que des pignons caramélisés, sur lequel nous trouverons une crème glacées au fromage cottage et de la poudre d’orange. 


Et pour terminer une toute nouvelle interprétation du dessert probablement le plus connu et apprécié du pays, le « baklava ». Un dessert qui date d’il y a plusieurs siècles et raffiné par la suite dans les palais Ottomans. D’ailleurs certains de ces palais pouvaient héberger environ 4000 personnes et les chefs en cuisine provenant de diverses régions se devaient de créer de nouveaux plats avec divers ingrédients, ce qui permit au « baklava » d’évoluer au fil des siècles. La recette originelle était constituée de 41 fines couches de pâte filo entre lesquelles l’on trouvait les célèbres pistaches de Gaziantep. Ce « baklava » a complètement été repensé et allégé avec l’utilisation d’une pâte assez semblable à la pâte feuilletée, découpée en triangle et dorée, voir presque caramélisée,  avec au centre une très fine farce réalisée avec une panna cotta aux pistaches. Un fabuleux classique complètement recrée.



Le repas se termine avec quelques petits fours dont des sedums qui sont des plantes sauvages de rocaille qui stockent de l'eau dans leurs feuilles, recouvertes de chocolat amer avec sur le dessus du sel d’hibiscus.



Et un autre  appelé originellement « Kerebiç » qui est typique du Liban, du nord de la Syrie et du sud de la Turquie (Mersin et Antep). Un gâteau dont le sucre est apporté par le natef, une mousse à la texture unique et au goût inhabituel qui provient de la racine de saponaire, une plante courante partout dans le monde. Comme son nom l’indique, elle contient de la saponine, un savon naturel.  Le natef est enrichi de blanc d’œufs et cannelle. Vous verrez donc toute cette manipulation réalisée devant vous dans du nitrogène et ensuite servie sur une serviette. 





Avec ce repas une unique bouteille de Cataratto 2014 Yanik Ulke, un vin blanc assez brillant dont le cépage offre des caractéristiques florales mais aussi minérales.


En ce qui concerne le service, le personnel  est plutôt distingué, calme mais qui néanmoins manque encore un peu de précision probablement lié à la jeunesse de l’établissement d’Istamboul. Par contre ceci peut être excusable dans une certaine mesure lorsque l’on connait le concept de Kemal Demirasal qui consiste à ne pas vraiment employer du personnel classique mais d’utiliser toute l’équipe en cuisine pour venir présenter chaque plat  et ce qui fut le cas. Peut-être que ce concept aurait dû être expliqué dès le départ car franchement inattendu est presque révolutionnaire !

Ce repas ne s’est pas terminé de manière conventionnelle car nous nous sommes vu proposer de visiter les annexes au rez de chaussée ou se passe la recherche, le développement et l’innovation. Un lieu secret où l’on fait l’effort de tester ou valider de nouveaux ingrédients et de nouvelles techniques en relation avec le passé mais aussi le futur de cette extraordinaire cuisine. Ici tous les tests sont menés quel que soit l’issue, réussite ou échec. Chaque jour dans ce laboratoire de nouvelles expérimentations sont menées afin d’aboutir à de nouvelles recettes. D’ailleurs le chef est un ami de Quique Dacosta, dont l’ouvrage se trouvait sur une des tables de travail.









Une cuisine d’une très grande élégance, harmonieuse, poétique, colorée et innovante.  Certes on pourrait revenir à ce que je disais en préambule lié à une forme d’inspiration nordique ou même hispanique mais en réalité, je dirais que c’est plus un état d’esprit et jamais un plagiat quel qu’il soit.

Tous les sens sont en émoi lorsque l’on découvre une assiette exactement comme chez l’un de ces chefs que je classifierais de « moderne » et non de « techno-émotionnel » ou même pire…. « Moléculaire ».  Une soirée presque spirituelle mais aussi théâtrale avec un enchainement d’actes les uns plus intenses et émotionnels que les autres. A aucun moment l’idée m’a effleuré l’esprit de retrouver la cuisine de quelqu’un d’autre, j’ai eu l’impression de découvrir ce soir une nouvelle dimension de la cuisine grâce au génial Kemal Demirasal et de surcroit une cuisine turque qui est en train de vivre sa révolution… Une table qui a toute sa place dans les 50 meilleurs restaurants du monde….qu’on se le dise…

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